Le changement climatique, la transition énergétique ont tendance à nous projeter vers une temporalité longue en matière d’actions RSE, pourtant, nous pouvons aujourd’hui grâce à la masse d’informations que nous produisons et à l’intelligence artificielle, accélérer l’intégration d’enjeux environnementaux et sociaux dans les entreprises. Les sciences de données constituent inéluctablement un des moyens pour infléchir la courbe du réchauffement climatique. Comme nous le rappelle Jean-Pierre Blay, historien, la science des données traduit les comportements humains en équation de manière à se projeter vers un futur immédiat à partir du passé contenu dans des données numériques. Yann LeCun, Directeur du Facebook Artificial Intelligence Research (FAIR) et considéré comme l’un des pères du deep learning affirmait que « Plus les machines auront un modèle complet du monde, plus elles feront preuve de bon sens ». C’est justement grâce à un juste modèle prédictif du monde que nous apprenons rapidement. Mais comment le big data, l’IA et ces modèles prédictifs peuvent-ils accélérer notre lutte contre le changement climatique?
Et bien, cela pourrait paraitre évident, mais tout réside dans une interconnexion plus opérationnelle des informations qui structurent nos activités avec les données socio-environnementales extérieures à nos systèmes de production. Elaborons cette analyse !
La digitalisation de l’information et la crise de la signification
Dans notre monde quasi-numérisé nous générons énormément de données. Selon le physicien britannique Melvin Vopson, en 2245, les informations stockées pourraient peser la moitié de la masse de la Terre. Toutefois ces informations tirées généralement du User Experience ou Expérience client manque souvent de contexte sociétal d’analyse. L’analyse isolée que nous en faisons conduit à des perceptions incomplètes ou même erronées et le plus souvent donne une vision à court terme, sans parler du coût que cela représente pour l’entreprise. Ces sources statistiques ne révèlent en effet tout leur potentiel que lorsqu’elles sont mises en résonance les unes avec les autres[1]. Les données ont besoin de contexte signifiant.
Et nous en venons au changement climatique. Le changement climatique en cours depuis la révolution industrielle, ou réchauffement climatique, résulte d'une modification de la composition de l'atmosphère terrestre par les émissions de gaz à effet de serre engendrées par les activités humaines[2]. En plus de ces conséquences environnementales, le réchauffement climatique a d’importantes conséquences économiques. C’est tout l’enjeu du rapport Stern[3] : publié en 2006, il estime que le coût sur dix ans du changement climatique serait au plan mondial de 5 500 milliards d’euros. Les tensions autour de l’accès à l’eau ou à la nourriture, les problèmes de santé publique, les risques de conflits climatiques : autant d’éléments participant à la conclusion qu’il est moins coûteux de lutter contre le réchauffement climatique que de ne rien changer.
Le changement climatique constitue donc non seulement un contexte signifiant pour les entreprises, mais il constitue surtout un ensemble d’informations indispensables pour approcher les réalités économiques et les problématiques qui intéressent les entreprises et leurs clients. Et comme nous le rappelle Jean-Pierre Blay, « Avec le big data, on cerne ce qui est pertinent dans la compréhension d’un marché en définissant des faits simultanés (le bio, le télétravail…) et leurs interactions dans la structure étudiée (le marché, la clientèle…). »
Le changement climatique peut ainsi être perçu comme une rupture critique que nous avons amorcée contre nous-même ou un point de divergence, comme c’est le cas avec le virus Covid-19 qui modifie mode de vie, production et consommation. Jean-Pierre Blay fait d’ailleurs une intéressante description des enjeux de cette période exceptionnelle que nous traversons :
« la crise sanitaire que nous traversons s’apparente à une période d’infléchissement de tendances plus ou moins anciennes. Le sentiment de fragilité de la vie et des systèmes écologiques s’est traduit par la percée politique des « Verts » aux élections municipales et les préoccupations sur le devenir de l’humanité pèsent sur les choix des consommateurs en ce qui concerne les transports, les destinations de loisirs, l’alimentation, la cosmétique, l’habillement… Aucune enseigne de la grande distribution ne peut négliger le rayon « bio » »[4].
L’analyse des données socio-environnementales contribue à repenser ainsi l’évolution de la politique de l’entreprise en faisant apparaître ces événements interprétables qu’il nous faut savoir intégrer dans nos analyses pour faire de la démarche RSE un véritable outil prédictif.
Intelligence Artificielle et RSE
Finalement, je terminerai avec le mode de traitement de l’information le plus évolué de l’ère numérique: l’Intelligence Artificielle (IA). Son lien avec la RSE est quasi naturel. L’IA aura un impact significatif sur certains domaines d’activités, comme l’énergie, les transports, l’empreinte carbone et les enjeux de traçabilité alimentaire. En effet, le changement climatique et ses conséquences entraînent à la fois une accélération des régulations, mais aussi une forte prise de conscience des enjeux environnementaux amenant les entreprises les plus concernées à mesurer leur impact et surtout à mettre en œuvre des actions de réduction de leurs émissions. La RSE est donc un facteur d’opportunité pour l’IA. Une étude de Pwc montre des mégatendances dans 4 secteurs : l’agriculture, l’eau, l’énergie et les transports.
Et ce que nous pouvons également retenir de cette étude, c’est qu’il est projeté qu’à l’horizon 2030, les solutions d’IA dans ces secteurs pourraient mondialement contribuer à réduire de 4% les émissions de GES et à augmenter de 4.4% le PIB. A l’échelle de l’Europe, cela serait respectivement – 4.9% de GES et + 5.4% du PIB, nous rappelle Sylvain Lambert, associé responsable du département Développement durable, PwC France.
Grâce à la multiplication des sources de données – issues de capteurs connectés, des images satellites, des images de drones ou des réseaux sociaux, l’IA offre des solutions efficaces autour de la réduction de nos émissions de Gaz à Effet de Serres (GES), de l’amélioration de la qualité de l’eau, de la réduction de la pollution de l’air, de la lutte contre la déforestation et de la préservation de la biodiversité.
Nous disposons aujourd’hui d’outils performants pour valoriser l’information sociale et environnementale, mais nous aurons besoin pour réussir cette accélération, de renforcer la culture et l’orientation RSE des entreprises. C’est à cette condition que ferons de l’information, toujours plus abondante, un outil majeur dans la lutte contre le changement climatique.
[1] Jean-Pierre Blay, La nouvelle échelle du temps en entreprise, HBR chronique : Digital , Big Data, Histoire, Intelligence Artificielle
[2] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000020506972
[3] https://webarchive.nationalarchives.gov.uk/+/http://www.hm-treasury.gov.uk/sternreview_index.htm
[4] Jean-Pierre Blay, La nouvelle échelle du temps en entreprise, HBR chronique : Digital , Big Data, Histoire, Intelligence Artificielle
Comments