Cette crise du coronavirus et l’engagement remarquable des marques nous a permis de constater l’immense capacité d’innovation dont peuvent faire preuve les marques. Mais ces innovations qui peuvent être stimulées par des crises comme celle que nous vivons actuellement, sont parfaitement anticipables. La question qui nous intéressera c’est comment les marques peuvent s’adapter, ou de manière plus pragmatique, comment doivent-elle s’adapter en développant des réflexes d’innovations responsables? Une des réponses se trouve dans une méthode la Systematic Inventive Thinking® ou S.I.T. En complément aux approches dites « intégrées » d’innovation, il faut une approche plus systématique comme la méthode S.I.T qui n’est autre qu’une des approches du Design Thinking. A travers l’analyse du cas du masque Easybreath de Décathlon qui en est une excellente illustration, nous verrons comment cette méthode peut être inspirante et pertinente dans une stratégie d’innovation.
1. La phase d’idéation : la folle histoire d'un ancien médecin chef d'un hôpital du nord de l'Italie
Et si de simples masques de plongée pouvaient sauver des vies ? L'idée vient d'Italie ou plutôt de l'esprit d'un ancien médecin chef d'un hôpital du nord de l'Italie, Renato Favero, raconte le Corriere della sera, relayé par Courrier international. Le projet de Renato Favero paraît simple: fabriquer un masque respiratoire d'urgence en adaptant un masque de plongée. Renato Favero contacte ainsi l’entreprise Isinnova – spécialisée dans les projets innovants – et lui expose son projet. Celle-ci accepte, comme le raconte un de ses ingénieurs, Alessando Romaioli, dans les colonnes du Corriere della Sera :
Nous avons analysé la proposition du docteur et nous avons conclu que le masque Easybreath de Decathlon était celui qui se prêtait le mieux à nos exigences. Decathlon nous a répondu qu’ils en avaient des dizaines de milliers en magasin. Ensuite nous avons imprimé en 3D les raccords nécessaires entre le masque et les tubes d’hôpital standard.
Dans son récit, Louis Heidsieck[1] nous plonge dans cette folle histoire du masque de Décathlon devenu le symbole d’une innovation socio-responsable dans cette crise majeure. Au départ, un simple masque de plongée avec tuba fluorescent intégré. Le modèle Easybreath de Decathlon, qui fait le bonheur de centaine de milliers de baigneurs, a pourtant trouvé une autre utilité depuis une quinzaine de jours dans la lutte contre le coronavirus, à travers le monde entier.[2]
De l’idée au prototypage, une phase qui correspondra en Design Thinking au processus d’idéation. La phase d'idéation est essentielle à tout processus d’innovation, c’est la formation des idées. La génération d'idées est d’ailleurs, la partie la plus importante de tout processus de développement de produit ou de service. Les meilleures idées, les meilleures solutions, se trouvent souvent dans notre univers immédiat et ces idées peuvent émerger avec un ensemble de bons réflexes qui ne sont pas innés, mais qui peuvent être acquis comme des compétences. Tout l’objet de la méthode S.I .T que nous devons à l’ingénieur soéviétique Genrich Altshuller[3] inventeur de la théorie TRIZ de résolution des problèmes inventifs qui donnera naissance à la méthode S.I.T.
2. De la solution au problème
La plupart des gens croient qu’innover c’est partir d’un problème bien défini et trouver des solutions à ce problème à l’aide de brainstorming. L’équation inverse est aussi valable. Vous pouvez partir d’une solution et essayer de trouver les problèmes qu’elle résout. C’est surement ce réflexe qui a inspiré le Dr. Renato Favero : comment un masque de snorkeling [la solution] pouvait résoudre un problème d’urgence respiratoire ? Voilà une des questions essentielles de la méthode S.I.T qui me permet de synthétiser la méthode S.I.T dans les lignes qui suivent.
3. Innover à travers la méthode S.I.T
Imaginez-vous que je tienne un biberon de lait, et que je vous dise que le biberon change de couleur quand la température du lait varie. A quoi cela peut-il servir ? Comme la plus part des personnes vous me direz que cela peut servir à éviter de donner du lait trop chaud au bébé ou de vous brûler vous-même.
Et si je vous demandais au contraire de trouver une idée pour éviter de brûler un bébé avec du lait trop chaud ? La plupart des gens vous proposeront des solutions venant de leurs propres expériences, comme mettre quelques gouttes sur votre bras ou mettre un thermomètre dans le biberon. Combien de temps pensez-vous que ça prendrait de trouver une idée aussi créative qu’un biberon thermosensible qui change de couleur avec la température ? Longtemps c’est sur ou peut-être jamais !
Avec cette méthode S.I .T, vous pouvez partir d’une configuration à ses bénéfices plus rapidement et d’une manière plus fluide que de partir du problème à la solution comme nous le faisons bien souvent. C’est le point de départ de cette méthode. Pour être créatif, il faut être un créatif dans les deux sens : Savoir partir de la solution au problème et inversement aussi, du problème à une solution. La bonne nouvelle c’est que notre esprit est conçu pour résoudre des problèmes, pas besoin de développer cette faculté, il faut juste en être conscient.
Quel problème cette solution permet-elle de résoudre ?
La méthode S.I.T se rapporte à cette idée d'aller de la solution au problème.
4. La méthode S.I .T appliquée au cas Easybreath
Pour développer cette méthode que j’aurai l’occasion d’approfondir à travers d’autres articles, nous pouvons partir de la synthèse des travaux du Dr. Jacob Goldenberg[1] et Drew Boyd[2]. Ils schématisent la S.I.T en 6 étapes essentielles. Nous essayerons pour une meilleure illustration, de l’appliquer au cas Easybreath de Décathlon afin de démontrer la performance de la méthode qui peut être appliquée à toute innovation produit, service ou même processus.
1. Tout commence par une situation existante, qui peut être un produit, un service ou un processus dans un contexte spécifique. Dans le contexte de la crise du Coronavirus, nous partons bien de la question initiale de Rénato Favero : « Et si de simples masques de plongée pouvaient sauver des vies ? » Le produit initial est donc ce masque de snorkeling Easybreath de Décathlon. Ce produit servira donc de solution de base pour résoudre un problème
2. Nous appliquons ensuite un des cinq modèles/logique S.I.T listés dans le schéma plus haut(Schéma de la Systematic Inventive Thinking® développé par Jacob Goldenberg et Drew Boyd.). A l’analyse, c’est la Task Unification qui semble avoir été appliquée. L’occasion de définir ce premier modèle conceptuel.
Bon nombre de produits innovants ont été créés en assignant une tache supplémentaire à une de leur composante de sorte à ce que le produit final semble contre-intuitif ou inhabituel. C’est bien ce qui a été réalisé par les ingénieurs de la société italienne Isinnova en retirant le tuba du masque et en le substituant par un embout adapté pour le relier à une bouteille d’oxygène. On a ainsi pris une composante de ce produit et on lui a assigné une tache supplémentaire.
3. Et lorsque nous appliquons cette fonction à notre produit de départ, nous modifions sa fonction, nous le transformons pour aboutir à un produit virtuel, troisième étape de la méthode S.I.T. Avec les possibilités offertes par l’impression 3D, créer un produit virtuel n’a jamais été aussi facile. Cette start-up Italienne, a ainsi modélisé et fabriqué ces embouts qui adjoints au masque facial, vont permettre de le relier à un respirateur.
4. A cette étape, vous devez pouvoir visualiser ce produit virtuel dans les grandes lignes grâce à cette méthode, puis, il s’agit d’appliquer deux filtres essentiels au projet, deux questions dans un ordre précis. La première question est simple: devons-nous le faire ? Y a-t-il besoin qu'il résout ? y a-t-il des avantages qu'il délivre? Y a t-il des cibles qui trouveraient cette configuration utile ? Cette étape est le filtre de marché et c'est un filtre parce que si vous ne pouvez pas identifier l'ombre d’un avantage lié à cette nouvelle configuration, inutile de continuer. La configuration apportée au masque Easybreath répondait parfaitement au besoin des équipes médicales. Un ciblage inscrit à la base au processus d’idéation.
5. Si vous identifiez certains avantages, alors et seulement alors, vous pouvez passer à l'étape suivante qui est la faisabilité « pouvons-nous faire? » Avons-nous le savoir-faire? Avons-nous la propriété intellectuelle, avons-nous la matière première? Peut-il être fait ? C'est le filtre d’implémentation, car une fois de plus si vous avez un prototype qui offre certains avantages, mais que vous ne pouvez pas le fabriquer, vous ne perdrez pas plus de temps. Cette étape d’implémentation a pu être réalisée à partir d’un matériau abondant le plastique et une technologie : l’impression 3D qui permet une production sur-mesure de pièces de ce type.
6. Arrive la dernière étape, qui consistera à apporter les différentes adaptations pour aboutir à un produit final comme cela a été le cas en Italie et dans les différentes entreprises françaises qui ont su adapter ce principe à leurs outils également.
Note de fin : penser nos produits et services comme de potentielles solutions à des problèmes de société.
Pour conclure, je dirai que ce projet hautement innovant a permis une avancée significative dans cette crise médicale avec un objectif très critique dans la prise en charge médicale : diminuer le recours à l’intubation chez les patients en détresse respiratoire.
En dédiant l’ensemble de ses masques Easybreath à cette cause, Décathlon achève ainsi de donner toute la dimension sociale et hautement solidaire à ce projet né d’une simple intuition.
Au-delà de l’analyse de ce cas, et c’est l’objectif de cet article, il s’agissait de comprendre comment des réflexes peuvent être systématisés grâce au Design Thinking et plus précisément ici la S.I.T que je développerai dans les prochains articles.
A travers cette approche, nous réalisons que des produits, des services, des protocoles, des processus,…peuvent intervenir dans la configuration de solutions à des problèmes de société et qu’il faut à chaque crise, les penser comme tels pour ouvrir le champ des possibles. C'est ce qui m'inspire dans mes missions et j'espère vous inspirera également.
Pour en savoir plus sur la méthode
Goldeberg, Jacob, BOYD, Drew, Inside the box A Proven System of Creativity for Breakthrough Results, 2014.
[1] Initiateur de la méthode S.I.T qui est également un cabinet conseil réputé fondé par Jacob Goldenberg, Amnon Levav, Haim Harduf, Haim Perez et Roni Horowitz.
[2] Co-auteur avec Jacob Goldeberg de l’ouvrage Inside the box
[1] Publié le 2 avril 2020 à 19:54, mis à jour le 3 avril 2020 à 13:49
[2] https://www.lefigaro.fr/societes/coronavirus-la-folle-histoire-du-masque-de-plongee-decathlon-adopte-par-des-soignants-du-monde-entier-20200402
[3] Genrich Altshuller(1926-1998)
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